Duo d’artistes visuelles installées à Saint-Denis, nous développons depuis près de quinze années une pratique pluridisciplinaire. C’est par la circulation géographique et plastique que nos projets se construisent. Notre travail est engagé sur des thèmes de société impliquant les questions sociales et identitaires, les recherches postcoloniales, l’Histoire en général et celle des mouvements de population en particulier. Habitantes d’une ville marquée par l’histoire de France et celle de l’immigration, nous observons et révélons les incohérences d’un passé mal assumé, qui s’est déroulé à travers cinq continents, fortement constitutif de notre présent. Attirées par ce souffle, nous plongeons dans ces histoires communes et traversantes : celles de peuples qui les co-construisent et les co-écrivent.


 Patrizia Nuvolari, commissaire indépendante Quand j’ai découvert qu’Élodie et Delphine Chevalme, n’étaient pas originaires d’un pays d’Afrique, mais bien françaises depuis toujours, je leur ai demandé d’où venait leur profond intérêt pour ce continent. « C'est dû à la convergence d'un milieu familial où le racisme ordinaire siégeait à table, et au fait qu'en tant que françaises, nous avons une histoire en commun avec une grande partie de l'Afrique. Et parce que cette histoire est commune, elle ne doit pas seulement être le fardeau des personnes dites de couleur ». La France : une histoire en commun avec l’Afrique. Une histoire qui a incité les sœurs Chevalme à tenter de comprendre cette ample partie de la terre, si différente et pourtant si proche. Un « vouloir-comprendre-l’autre » que les Africains avaient déjà mis en pratique à l’époque où les immigrés – qui ne venaient pas pour demander l’asile mais pour prendre possession des terres et des personnes – étaient les Européens.

Dans leur travail, Élodie et Delphine Chevalme s’approprient cette nouvelle identité mélangée. Leur vision artistique se fait dialogue et constitue une occasion de richesse d’expression à partager, une nécessité de réinventer une identité moderne qui n’exclut pas les contaminations.Leurs projets reposent précisément sur l’identité, conçue non pas comme une forteresse imprenable, mais comme une entité capable de se nourrir de ce qui est autre et de se transformer. L’identité est multiple et complexe. Elle est plurielle, elle est “histoires”, car dans un monde se définissant comme globalisant, l’identité se déplace, migre, s’enrichit, s’acoquine, se marie, se recrée, intègre et absorbe en permanence . Cohérentes avec le concept de métissage continu, les œuvres des jumelles Chevalme font de l’art un langage universel sans frontière. Sans préjugés, il a su se « frotter » à toutes les formes créées par les différents peuples de la terre. Fascinés par la puissance expressive des masques rituels africains, Picasso et Braque n’ont pas hésité à s’y « frotter ». Tout comme Matisse, inspiré par les lignes sinueuses des étoffes orientales. Ou encore Gauguin et Bonnard, attirés par l’art japonais. Et comme eux, tant d’autres artistes, parce que l’art libre n’a jamais été rebuté par la diversité, bien au contraire : celle-ci a toujours piqué sa curiosité. Créer, c’est surtout connaître. Comprendre. Et faire sien. Tout comme les sœurs Chevalme qui, dans certaines œuvres ont repris le truc du miroir convexe où elles se reflètent pendant qu’elles travaillent à la réalisation de leur tableau, exactement comme six cents ans plus tôt, un miroir du même genre reflétait l’image du peintre Van Eyck, en train de portraiturer en pied les époux Arnolfini. Eh oui, l’art est coutumier de ce genre de « chapardage ».

Vue à travers une ironie légère et allègrement directe, l’œuvre artistique d’Élodie et de Delphine Chevalme explore le rapport ambigu entre colonisateurs et colonisés. Leur regard provocateur et vital – comme l’est tout ce qui germe de l’hybridation de cultures – ne cesse de remettre en discussion les définitions préétablies de « culture » et de « nation », ouvrant ainsi de nouveaux horizons sur des paysages inattendus