Dans la poursuite de "Mama whita", le projet "Hors-champ" est mené dans une double perspective : recherche archivistique et restauration-transposition de l’archive par le dessin. À mi-chemin entre un travail scientifique et artistique, le dessin en est la colonne vertébrale.
Produire des images à partir des archives coloniales n’est pas anodin. Par ce geste, nous les restaurons et les rendons à une vie contemporaine où un autre récit est reconstruit à chaque utilisation.
Nos recherches dans les fonds coloniaux, facilitées par la récente politique d’ouverture des archives, nous ont amenées au musée du quai Branly, à la Bibliothèque nationale de France (BnF), aux Archives nationales d’outre-mer, aux Archives diplomatiques de La Courneuve, aux Archives de la planète du musée départemental Albert Kahn, à la Bibliothèque Éric-de-Dampierre, aux Archives départementales de la Haute-Garonne, à l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense, à des fonds privés comme celui d’Edmond Fortier, à des cartes postales anonymes en vente sur eBay ou sur des sites de maisons d’enchères et à La Contemporaine à Nanterre…
Notre intérêt pour les archives photographiques est devenu central dans notre travail pour deux raisons. D’une part, avec l’invention de l’outil photographique simultanément à l’expansion coloniale européenne au XIXe siècle, le nombre de documents conservés est tout simplement vertigineux. D’autre part, « dans la conception postmoderne de l’archivistique, les documents d’archive ne sont plus les objets accumulés naturellement et fixant le passé dont ils sont issus, mais sont la fabrique d’un passé toujours en devenir, (…) caractérisé par sa potentielle rencontre avec un utilisateur ».
En écho aux travaux de l’historienne canadienne Anne Klein, notre utilisation des images d’archive créé un nouvel espace iconographique au sein duquel le passé et le présent fusionnent, s’entremêlent et s’entrechoquent, initiant des récits plus représentatifs de la société, sortes de projections futuristes qui s’inscrivent dans une pratique décoloniale de l’image.
Les archives, un objet pluriel et en perpétuel devenir Si les archives sont le point de départ de nos recherches, il est important de se poser certaines questions quant à leur utilisation. Quelles archives regardons-nous ? Par qui et pour qui l’archive est-elle conservée ? Jusque dans les années soixante-dix, les archives sont pensées comme la conservation, supposée neutre, de documents qui témoignent de l’histoire de collectivités et font le lien entre le passé et le présent. On parle d’archives « centrales » ou « nationales » qui se distinguent de l’archive privée. À partir des années 1970, une nouvelle approche communautaire et humaine des archives apparaît. Décrites par l’historien et politologue américain Howard Zinn, comme les « archives activistes », elles reposent sur l’idée de se séparer du concept de la neutralité dans le rôle de l’archiviste et de l’ancrer dans un concept de justice sociale. En allant à l’encontre du courant dominant, les archives activistes offrent une plateforme pour la diffusion et la conservation des voix et des mémoires souvent oubliées ou effacées auparavant, qui permet non seulement à la société de porter un nouveau regard sur des groupes marginalisés et évènements historiques culturellement négligés, mais aussi aux groupes activistes d’avoir des outils de propagation pour leurs combats actuels et à venir. Plutôt que de laisser place à la création de récits nationaux ou politiques, souvent biaisés, ces nouvelles pratiques archivistiques permettent d’envisager une utilisation multiple du passé. Alors que l’étude de l’histoire et même du présent montre une forte tendance à la politiser et à créer des récits parcellaires, la démocratisation de l’archive fournit la possibilité de créer des contre-récits.