En septembre 2017, nous partons rejoindre la chercheuse en sciences sociales Émilie Guitard pour un mois et demi au Nigeria. Elle étudie les arbres en milieu urbain dans la ville d’Ibadan et nous invite à l’accompagner sur son terrain de recherche. La grande cité d’Ibadan, aux toits rouille et à la terre rouge, est en territoire Yoruba. Pour cette collaboration, une quinzaine de lieux ont été choisis. Pendant qu’elle mène ses observations et ses entretiens, nous dessinons les arbres. Tout se passe en plein jour, ce qui suscite une grande curiosité de la part des habitants. Une chercheuse blanche accompagnée de deux jumelles, blanches aussi, n’est pas un phénomène commun à Ibadan. Le projet s'intitule Treebadan (contraction de tree et du nom de la ville). Les habitants utilisant aussi bien l'anglais que le yoruba, le titre prend aussi la forme de la langue autochtone Igibadan (igi = arbre).

Si en journée, notre présence ne passe pas inaperçue, la nuit les choses changent. Après discussion avec les habitants et la chercheuse, nous proposons de revenir, une fois le soleil tombé, dans les endroits où nous avons dessiné la journée. Les photographies sont réalisées en pose B sur pied. Vêtues d’habits sombres, nous travaillons avec des lampes torche. Dans le cadrage défini, nous révélons les habitants et les arbres à la lueur de nos faisceaux. Les nuits sont noires à Ibadan et revêtent un caractère magique exempt des villes européennes qui sont très grises du fait de la saturation de sources lumineuse et de la sur-abondance électrique. Dans la dense obscurité, les seules sources lumineuses proviennent de phares des voitures, de lampes à pétrole disposées sur les comptoirs de vente et des téléphones portables. La nuit est propice à l’imaginaire et, dans ces zones d’ombres, à la dissimulation. Elle dramatise les actions et amplifie la part de fiction, propre à toute représentation. Elle créé de nouveaux espaces alternatifs et un écrin à une population qui, la journée, peut se sentir condamnée. La nuit, une autre vie semble possible, les rôles s’inversent aussi et l’espace est investi par une autre réalité. Dans cette lumière urbaine nocturne, un potentiel dramaturgique de mise en scène s’offre à nous. Nous appelons ce court projet Power.