Titré en miroir, ce projet réunit  la « sape » du Congo-Brazzaville et l’univers de la mode parisienne. Tant la sape que la mode sont emblématiques d’identités territoriales spécifiques. Marques de fabrique nationale, sape et mode se reflètent respectivement par leurs similitudes mais surtout par leurs particularismes. Si les sapeurs partagent et collectionnent les mêmes « griffes » ; de Christian Lacroix à Yves Saint Laurent en passant par Jean-Paul Gaultier, Pierre Cardin ou Christian Dior, la sape n’est pas la mode. À partir d’un modèle culturel étranger et imposé par la France, alors colonisatrice, la sape a construit l’un des symboles forts de l’identité congolaise. Pied de nez à l’Histoire, l’art de l’habillement, du bon goût et du raffinement est désigné autrement et par un terme issu de l’argot : la sape.  Si nous avons choisi l’œuvre de Jean-Paul Goude, c’est qu’il incarne une vision très atypique et personnelle qui a complètement bouleversé et élargi les codes de représentation de la mode, à tel point qu’il en est devenu un de ses symboles. Le parallèle est pertinent, car c’est la remarquable illustration d’une identité, non pas forteresse, mais comme un territoire qui absorbe et qui mute en intégrant l’autre. Si l’identité est le fil conducteur de notre démarche, il n’y a rien d’anodin à cela. Sœurs jumelles, nous sommes deux personnes mais perçues comme une seule. Cette dualité intrinsèque nous a rapidement menées aux questions de la mixité culturelle et à aborder des problématiques identitaires. L’identité est exprimée au singulier et représentée comme une entité homogène et hermétique. Nous comprenons mieux le malaise que décrit Alain Mabanckou, auteur de langue française, lorsqu’à l’aéroport de Los Angeles, un compatriote français lui dit « … vous êtes Franco-quelque chose ? ». Il met ici en lumière le cloisonnement de l’identité, qui n’accepte pas de prendre en son sein l’Histoire. Voici donc notre postulat : l’identité est multiple et complexe. Elle est plurielle, elle est « histoires », car dans un monde se définissant comme globalisant, l’identité se déplace, migre, s’enrichit, s’acoquine, se marie, se recréé, intègre et absorbe en permanence. Très souvent, nous n’en percevons pas le processus. Françoise Vergès rappelle à ce propos que si les cafés européens s’ouvrent au XVII ème siècle, ce n’est possible que par l’influence des colonies et par l’apport du sucre et du café. Les villes européennes se voient alors transformées, les arts de la table et les livres de recettes également. Ce qui semble faire partie du paysage de nos villes, de nos traditions culinaires et de nos habitudes sociales aujourd’hui sont en réalité des apports étrangers. C’est donc à Brazzaville que nous nous sommes rendues pour y suivre les traces laissées par l’histoire coloniale. L’Histoire, à la manière d’un fleuve en crue, une fois revenu à son lit, a autant enlevé et détruit, qu’apporté, mélangé et métamorphosé. C’est ce qu’Alain Mabanckou nomme « les greffes de l’Histoire » : là où un territoire s’est mêlé à un autre. 
La sape, qui désigne à la fois le vêtement et la Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes, est un engouement pour le « vêtir bien » qui remonte à la période post-coloniale. Véritables passeurs de territoires culturels, les sapeurs incarnent pour nous, à la fois le miroir déformé de l’opulence occidentale dont beaucoup des grandes villes ne sont plus que des vitrines, et la transmission d’un héritage culturel et social qui, par réinvention, leur devient propre. Nous les voyons comme les vitrines sans magasin des rues de Brazzaville, quand à Paris ce sont les Galeries Lafayette, le Printemps ou encore le Bon Marché. Ces dandys nés cultivent au quotidien une culture qui devient une marque reprise par certains hommes politiques.  D’un legs colonial et historique,  les sapeurs en ont fait l’un des emblèmes du Congo. Quand les sapeurs s’habillent, ils empruntent sans camouflage les vêtements et les coupes occidentales. Les marques sont conservées, valorisées de manière à signifier l’origine territoriale du vêtement. La « griffe » est la sape. Il y a ainsi des « Parisiens » à Brazzaville ; ces sapeurs revenant de France avec des malles d’habits et de chaussures griffées, pour approvisionner ceux restés au pays. De la campagne des Galeries Lafayettes, ce sont les œuvres de Jean-Paul Goude que nous conservons ; déshabillées de leurs logos et de leurs marques, il en reste leur essence artistique. Plus qu’une citation, c’est un hommage à l’artiste et à ses œuvres qui marquent notre quotidien depuis plus de dix années et dont nous offrons aux sapeurs de Brazzaville d’en devenir les effigies. Peints sur lais de papier, puis assemblés, marouflés sur toile et tendus sur châssis, nos dessins reflètent une volonté d’ancrer ce projet dans le vocabulaire de la peinture. Greffes de l’Histoire, histoires de griffes relie ainsi les deux capitales, Paris et Brazzaville, sous la forme d’une série de peintures. Plus qu’un pont géographique, c’est l’Histoire qui est matérialisée avec en trame de fond des histoires de « griffes ».